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CEUX DE 14 - MAURICE GENEVOIX - LE POETE DES POILUS, DES ANIMAUX ET DE LA LOIRE

Je voudrais rester à jamais sur le versant du soleil (Maurice Genevoix)

Les trente mille jours

Le soldat Maurice Genevoix  né en 1890 dans la Nièvre

Le soldat Maurice Genevoix né en 1890 dans la Nièvre

Soldat, poète, ami des "bêtes" et de la nature

Soldat, poète, ami des "bêtes" et de la nature

Les trente mille jours - Les bords de Loire, La Sologne

Les trente mille jours - Les bords de Loire, La Sologne

Le charme singulier de Maurice Genevoix joue ici, plus puissamment encore que dans aucun de ses livres. D’une enfance sur les bords de la Loire au secrétariat perpétuel de l’Académie française, en passant – surtout – par l’effrayante déchirure de la Grande Guerre, ces pages retracent neuf décennies de fidélité à soi-même. Qu’il évoque une marche au brame dans les forêts de Sologne, le regard des compagnons massacrés dans la boue des Éparges ou les premières terreurs d’un enfant découvrant la mort, Maurice Genevoix témoigne de la même douceur obstinée, de la même 'justesse' au sens fort qui nous font complice fraternel de sa mémoire. Il y a dans ces Trente mille jours paisiblement restitués l’illustration – et l’explication – du "mystère Genevoix".

"Les misères, les horreurs dont j'avais si souvent pantelé, la nostalgie poignante qu'elles faisaient se lever en moi, l'angoisse et aussi le regret, à chaque minute ravivés, de perdre à tout jamais tout ce que j'avais aimé, visages, ciels, lumières sur l'eau, bleu d'une forêt sur l'horizon, l'ivresse soudaine et pathétique de revoir, de reconnaître, d'aimer et d'aimer mieux encore tout cela qui m'était redonné" Les Trente Mille Jours" Maurice Genevoix.

Qui lit encore Genevoix ?   J'avais lu Raboliot à quinze ans. Mais c'est seulement en 2014 que j'ai rencontré Maurice Genevoix à la bibliothèque Raoul Mille à Nice où j'ai pris son livre "Les Trente mille jours". Je m'attendais à un style un peu raide et ce fut tout le contraire.  Il reste  un émerveillement, par la finesse de sa perception, de ses sentiments, de son humanisme. Ne pas le lire c'est se priver d'une voix singulière, particulière,  inoubliable et d'une jeunesse éternelle. Comme toute voix singulière, elle se différencie et s'imprime en nous. Ses mots sont non seulement précis et justes, mais ils font partie de la beauté du monde. Ils affinent notre vision, et ils font du bien à l'âme.

Si Maurice Genevoix écrit comme cela c'est que l'on peut revenir de l'enfer ... et peut-être en sortir.

La voix de Maurice Genevoix, j'aimerais qu'elle arrive jusqu'à vous, dans toute sa simplicité, sa vérité.

Pourquoi lisez-vous  cet article? que cherchez vous à travers le  regard de ces  jeunes soldats ? Cet écrivain poète aimait par dessus tout la douceur de la Loire, de ses animaux, de ses bois. Personne mieux que lui n'arrive à nous faire sentir les moments de bonheur qu'il connaît depuis l'enfance, et l'immense tristesse de les avoir perdus  à jamais. Une conscience profondément humaine et ciselée par des yeux qui voient et qui sentent tout ce qui lui est précieux et donc tout ce qu'il y a de précieux dans la vie. D'autant plus qu'à douze ans, il connaîtra le premier effondrement de ce monde merveilleux avec la mort de sa mère.

J'ai découvert Maurice Genevoix en 2014. Je pensais trouver un style un peu guindé, académique. Et ce fut un enchantement. Il a aussi nourri, coloré  cette  nostalgie que j'éprouve à l'égard de cette génération foudroyée et figée dans la mémoire comme une longue blessure silencieuse. 

Pour moi, la guerre de 14, ce sont toutes ces  statues de soldats dans tous les villages de France et ces listes interminables de noms de soldats morts à l'aube de leur vie. Qui s'arrête encore devant ces monuments qui rappellent le nom des pères, des frères, des fils, des maris, des amis. Parfois on peut voir le même nom de famille cité cinq, six fois. Je me suis mise à photographier avec la douceur d'une caresse, ces petits soldats arrêtés dans leur élan de pierre ou de bronze.

Pour moi, la guerre de 14, c'est mon grand-père,  Arthur, tassé sur lui-même, assis dans son fauteuil râpé et sans couleur et son clair regard de ciel, perdu dans ses rêveries et comme posé, sur les glaïeuls et les dahlias qu'il cultivait pour fleurir les tombes.

On n'osait pas le déranger. Il ne parlait pas. Ma grand-mère, Jeanne,  ne parlait pas non plus. On soupirait ... beaucoup, on se regardait en soupirant, on se quittait en soupirant et on pleurait en soupirant. Nous ne savions rien de cette tristesse qui les habitait mais elle nous habitait aussi. Elle venait de  ... Et pourtant j'ai connu chez eux tant de joies, tant de plaisirs. Mon enfance en fut illuminée. Je me suis  régalé de généreuses tartines de confiture de groseilles du jardin, de tartes aux mirabelles, de soupes à l'oseille, de fromage blanc servi à la louche, et le vieux poirier, ce vieux poirier ... avec ses poires toutes petites et dures mais que nous dégustions comme des fruits défendus et désirables, et ... et les truites argentées, et les brochets  ... et nos petits goujons, et la Moselle et nos bains glacés, son eau claire et vivante d'algues et de galets aux yeux de mica, le canal, ses écluses et le pont-canal, les forêts de saules qui bordent la rivière et qui balancent leurs longues chevelures argentées de pleureuses. Quel bonheur ! images fugaces mais tenaces, ineffaçables qui viennent encore colorer et soutenir mes moments présents. 

Ils habitaient les Vosges, la Lorraine, dans la maison au bout de la cité Jeanne-d'Arc à Golbey, une cité ouvrière. Je le nomme Arthur le Magnifique, c'était mon grand-père.

Jamais il ne nous a parlé de la guerre. Ses mots étaient peut-être retenus dans ses larmes.

Je n'ai reçu aucun mot de mon grand-père paternel. Je n'ai reçu aucun mot de ma grand-mère. Et pourtant j'ai tout reçu, une immense vague chaude et salée, peut-être ce qu'on appelle l'amour ? On ne nous disait jamais "je t'aime",  "mon coeur" comme on l'entend aujourd'hui, mais c'était là, et nous, enfants, nous le sentions et nous nous sentions au coeur du monde.

Ils m'ont appris tant de choses. Ma grand-mère était catholique. Mais elle n'a jamais essayé de nous convertir. Quand je triturais son chapelet en pierres violines avec envie, elle me disait qu'elle m'en offrirait un. Elle priait doucement,  régulièrement et sans ostentation. C'était le souffle de sa vie. 

Pendant ce temps, j'étais élevée dans la laïcité et l'amour de l'école publique. C'était ma religion, qui ressemblait comme deux gouttes d'eau à celle de ma grand-mère ou de mon grand-père. La même exigence,  la même dignité, la même source. Ma grand-mère avait épousé Arthur, Alsacien et protestant. Tout allait de soi et avait sa place légitime.

Ma grand-mère Jeanne travaillait comme sage-femme dans la campagne profonde et parfois emmenait mon père encore petit, dans les maisons où se passaient les accouchements.  Ainsi me mit-elle au monde dans sa propre maison. J'en mesure toute l'étrangeté et la beauté  aujourd'hui. Ces moments vécus entre entre ma mère, ma grand-mère et moi ont cimenté nos liens. Nous étions proches naturellement, biologiquement. 

Les mots restaient à leur place, en retrait par rapport à une réalité  forte,  enracinée, originelle.

 

Je terminerai par une phrase de Maurice Genevoix :

"Laissons venir, voulez-vous ? Et puis nous marcherons, nous irons au devant, comme ce matin. Je dis bien au devant, ce qui doit venir viendra, il y aura forcément rencontre". 

Maurice Genevoix nous laisse un héritage extraordinaire, parce qu' après avoir connu l'enfer du front  il peut encore écrire  sur "l'invincible espérance des hommes".

J'aimerais dire aux jeunes d'aujourd'hui combien je trouve cette phrase importante. Cette croyance je l'ai peut-être reçue comme une pluie bienfaisante le jour où je suis née.

 

 

Le soldat Arthur Noé

Le soldat Arthur Noé

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